Histoire de la SLP

De la fondation aux statuts de 1876

La Société de Linguistique de Paris (S.L.P.) apparaît vers 1863. Elle est à cette époque un cercle de discussion où se retrouvent quelques américanistes issus de la Société d’Ethnographie Orientale et Américaine et qui s’en sont séparés pour des différends personnels. Leur intention est de créer, face à la Société d’Anthropologie de Paris fondée par Broca en 1859 et inspirée par les travaux d’inspiration matérialiste de Chavée, une association concurrente, proche des cercles monarchistes et catholiques, qui prendrait argument de l’étude des langues pour illustrer ses opinions.

Deux historiques ont été présentés devant la S.L.P.:

En 1866, sollicité par les fondateurs et avec l’encouragement de V. Duruy, Émile Egger, auteur des Notions élémentaires de grammaire comparée pour servir à l’étude des langues classiques (1854), prend la présidence de la SLP. Membre de l’Institut, professeur de littérature grecque à la Sorbonne, Egger fait entrer avec lui quelques philologues acquis aux idées nouvelles (Renan, Littré…) et surtout les jeunes comparatistes (Michel Bréal, Gaston Paris).

Bio-bibliographie de Michel Bréal

Le ministre de l’Instruction Publique, Victor Duruy, qui prépare la création de l’École Pratique des Hautes Études (dont la IVe section est consacrée aux « Sciences Historiques et Philologiques ») voit dans la S.L.P. une préfiguration scientifique de son projet et encourage une organisation plus formelle, négociant avec les nouveaux dirigeants le dépôt de statuts.

Statuts de 1866

Célèbres pour leur article 2 :

« La Société n’admet aucune communication concernant, soit l’origine du langage, soit la création d’une langue universelle. »

Ces statuts se signalent d’abord par le champ d’études assigné à la S.L.P. : « l’étude des langues, celle des légendes, traditions, coutumes, documents, pouvant éclairer la science ethnographique » (article 1). Ils visent à distinguer la S.L.P. des cercles positivistes et républicains qui créent en réponse la Revue de Linguistique et de Philologie Comparée (1867-1915). Renan succède à Egger. En 1868, Bréal devient secrétaire de la S.L.P., une fonction stratégique dans une association dont le président change tous les ans. Viennent en renfort des comparatistes les membres de l’Association pour l’Encouragement des Études Grecques en France (fondée en 1867) en sorte que la plupart des fondateurs de 1863 se retirent de la S.L.P. et fondent une Société de Philologie en 1869. La même année, la S.L.P., qui vient d’obtenir une subvention du Ministère, décide de se doter d’un Bulletin à diffusion interne, confié à Vieweg. La Société traverse ensuite une série de crises à l’occasion du départ des spécialistes de mythologie comparée en 1872 et de l’éviction des orientalistes, déchirés par les discussions entre Halévy et Oppert en 1873. Au moment de se stabiliser dans ses effectifs et son fonctionnement, la S.L.P. est menacée par le retrait, en 1874, de la subvention du Ministère qui demande l’adoption de nouveaux statuts. Ceux-ci, votés en 1876, permettent le rétablissement des subsides gouvernementaux.

L’activité de la S.L.P. de 1876 à 1918 : de Bréal à Meillet

À partir de 1876, la S.L.P. devient une société savante dont les travaux se détachent peu à peu des exigences de l’université pour prendre rang, notamment face à l’Allemagne, dans la compétition internationale. On peut dessiner durant ces quarante années, à partir du dépouillement des Mémoires de la Société et des communications présentées, une certaine tendance à remonter vers les langues orientales du domaine indo-européen dans une récapitulation inversée de la migration supposée. Dans les années 1880, notamment en raison du rôle joué par Louis Havet, dominent les études sur le latin, en particulier la métrique (coïncidant avec les débuts de la phonétique instrumentale et pédagogique). Les années 1890 mettent au premier plan la langue grecque et les années 1900 les discussions sur les langues indo-européennes de l’Asie centrale et le déchiffrement. Les discussions dominées par Antoine Meillet, Robert Gauthiot et Sylvain Lévi permettent à la S.L.P. de s’affirmer comme le centre de référence d’une linguistique qui n’a pas sa place dans la nomenclature des chaires universitaires ; en revanche, elles renferment le débat à quelques spécialistes. L’accession de Meillet à la chaire de grammaire comparée du Collège de France (1906) donne à celui-ci un ascendant décisif sur ce domaine qu’il est amené à dominer seul après la disparition de Saussure (1913), de Bréal (1915) et de Robert Gauthiot.

La S.L.P de 1918 à 1945 : de Meillet à Benveniste

À la fin de la Première Guerre mondiale, Meillet prend en charge l’organisation de l’ensemble de la recherche. Il remplace les Mémoires par la publication, dans le B.S.L., des actes de la Société, des articles scientifiques et des comptes rendus d’ouvrages, complétant par une collection de la S.L.P. le rôle éditorial de l’association. Durant l’entre deux guerres, les linguistes français, s’éloignant de la grammaire historique, poursuivent un travail d’accumulation des données et des descriptions (africanistique, développement de l’orientalisme…) qui se développe en parallèle aux propositions nouvelles de la géolinguistique et du structuralisme. La disparition de Meillet (1936) et la Deuxième Guerre Mondiale perturbent l’activité de la S.L.P. qui suspend ses activités de 1940 à 1944.

Bio-bibliographie d’Antoine Meillet

La S.L.P. de 1945 à nos jours

Depuis 1945, la S.L.P. a poursuivi son travail, en essayant de concilier la tradition comparatiste et le paradigme structuraliste, une synthèse que les secrétaires successifs, à commencer par É. Benveniste, incarnent parfaitement. En même temps que les sciences du langage se développaient dans l’Université, notamment depuis la série de réformes des années 1960, les nouvelles approches, d’abord représentées par A. Martinet, et les nouveaux terrains ont fait de la S.L.P. la plus internationale des associations de langue française consacrée aux sciences du langage, comme elle en a donné le témoignage avec l’organisation du Congrès International des Linguistes à Paris en 1997.

Gabriel Bergounioux (1997, BSL 92/1)

Le Tome 100/1, paru en 2005, revient sur l’histoire et les spécificités scientifiques du Bulletin, et dans une moindre mesure de la Société elle-même.